Les élèves n’apprennent pas tous de la même manière et au même rythme, et pourtant tous devront maîtriser les connaissances et les compétences du socle commun. Face à cet enjeu, il n’existe pas une « recette pédagogique » unique qui s’imposerait à tous les enseignants pour des élèves de tous âges et quelle que soit la discipline enseignée. Derrière la notion d’innovation pédagogique, on trouve donc une multiplicité de pratiques et de dispositifs pertinents pour répondre à l’hétérogénéité dans les classes. Différentes pratiques pédagogiques innovantes utilisant les ressources numériques se déploient, et ce de la maternelle à l’université, afin de valoriser un apprentissage plus interactif dans les deux sens du terme. Universalis fait le point sur deux d’entre elles : la classe inversée et la classe renversée. Ces méthodes pédagogiques ne s’opposent pas aux pratiques traditionnelles (car elles ne sont pas toujours adaptées pour tous les publics ou tous les sujets), mais elles invitent les enseignants à enrichir leur rôle pédagogique et permettent d’exploiter les fameuses NTIC avec succès.
La pédagogie inversée
De quoi s’agit-il, au juste ?
Inverser, c’est changer la position de deux éléments. Dans le cas de la pédagogie inversée, on va donc échanger le temps consacré à la théorie et celui qui est consacré à la pratique.
Ainsi, la théorie, que l’enseignant présente en classe à ses élèves dans la méthode traditionnelle est ici découverte à la maison ou au CDI, grâce aux moyens que le professeur met à leur disposition par le biais de ressources numériques. La pratique (les exercices), qui était auparavant réalisée majoritairement à la maison (avec difficulté si le cours n’était pas compris et les parents pas en capacité d’aider leur enfant), est réalisée en classe, avec le professeur pour guide. L’élève est ainsi stimulé dans son activité cognitive et réflexive. On favorise la mise en pratique des savoirs, ce qui est essentiel.
Puisque le cours se fait à distance, en individuel ou en petit groupe, les ressources numériques telles que des vidéos, articles en ligne avec ou sans QCM associés sont donc indispensables dans cette pédagogie. Les ressources en ligne, comme les articles et médias des sites Universalis, sont tout à fait pertinentes dans le cadre de la classe inversée. Autre exemple de ressources : en amont des séances de cours, les enseignants peuvent proposer aux élèves des animations interactives. Grâce à des logiciels gratuits, c’est assez facile de réaliser ces supports (montage voix du professeur sur des images ou des textes, par exemple). Et, si cela paraît trop technique, les professeurs s’organisent en groupes de travail collaboratif, le plus technophile aidant les autres !
Une pédagogie active, créative et interactive… mais pas non plus une recette miracle
Il n’existe pas de recherches qui permettraient de savoir si la classe inversée possède vraiment, en matière de réussite scolaire, les vertus que lui prêtent ses partisans[1], mais elle suscite un enthousiasme évident chez ceux qui l’ont testée ! Les élèves sont eux aussi enthousiastes et tous les enseignants s’accordent à dire qu‘ils développent ainsi de l’autonomie, que la méthode aide à grandir, à travailler en équipe, à agir, discuter, à être acteur de ses apprentissages.
Des bémols ? Il y en a. Tout d’abord, l’enseignant doit lui aussi inverser le rôle qu’il joue, et ce n’est pas si simple : le temps de la classe n’est plus consacré à la transmission de contenus et à la correction d’exercices, mais à la résolution, en commun, de problématiques. Tous les élèves peuvent ne pas avoir compris le cours à la maison. De plus, les sollicitations ne cessent pas puisqu‘ils travaillent en petits groupes, interpellent, discutent… Bref, une journée de cours inversé vous laisse sur les genoux… surtout si vous avez une classe de plus de 25 élèves, comportant des niveaux différents…
Ensuite, les outils utilisés en dehors de la classe doivent être ludiques et stimulants, les jeunes générations étant assez exigeantes en la matière et les enseignants n’étant pas forcément des professionnels du montage vidéo.
Par ailleurs, à l’heure du dispositif « devoirs faits » du ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui doit permettre aux élèves de faire leurs devoirs à l’école plutôt que chez eux, on peut se demander si la classe inversée n’est pas à contre-courant. Les élèves qui ne travaillaient pas à la maison leur exercice ne travailleront sans doute pas plus la théorie. Il faut donc contrôler qu’ils ont fait le travail demandé et qu’ils l’ont compris. Pour contrer ces deux problèmes, nombre d’enseignants essaient d’inverser la classe au CDI ou en salle informatique… voire en classe. Auquel cas, les apprentissages se font à distance mais à côté… du professeur. Par exemple, des enseignants ont proposé deux activités en parallèle : faire visionner les vidéos sur les téléphones portables pendant que d’autres élèves réalisaient en parallèle des exercices qu’ils avaient choisis, et ça marche !
Enfin, tous les thèmes du programme ne sont pas adaptés à cette méthodologie pédagogique. Pour conclure, une réflexion fait consensus : le rôle de l’enseignant est ici encore plus essentiel que dans la méthode traditionnelle…
La pédagogie renversée
De quoi s’agit-il, au juste ?
Si la classe inversée modifie les temps consacrés à la théorie et à la pratique, la classe renversée, elle, change le sens de marche. On va modifier le cheminement du savoir, qui ne s’exerce plus de l’enseignant vers l’élève mais de l’élève vers l’enseignant : comment ça ? Mais oui… : aux élèves de construire le cours grâce aux ressources mises à disposition ! Et à l’enseignant de les guider, en faisant émerger le questionnement, en faisant le lien entre les différentes informations… L’enseignant fait l’élève : il n’a pas compris et se fait réexpliquer la notion. Ne dit-on pas que ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ? La classe aussi est renversée, les élèves « tapissent les classes d’un savoir construit par eux-mêmes[2] » : la disposition en classe traditionnelle (le professeur face à une classe) n’existe plus, place aux affiches et aux paperboards, aux îlots et au travail en équipe. Le schéma du professeur sur l’estrade est lui aussi renversé ! Pour aller plus loin, certains enseignants demandent même à leurs élèves de concevoir les évaluations !
Prenons un exemple. Après avoir trouvé de concert la problématique en classe, les élèves, par petits groupes, vont aborder une partie du sujet. Chaque équipe dispose d’un plan d’action pour cette séance de 2 heures 30 qui présente le déroulement de la séance, les objectifs, la restitution attendue et les ressources à disposition. Des ressources numériques comme celles d’Universalis trouvent, ici encore, une place essentielle pour aider les enseignants dans une démarche pédagogique renversée. Les groupes préparent donc, en autonomie, une partie de la leçon. Ils passent ensuite au tableau, s’installent au poste informatique de l’enseignant et proposent l’analyse d’une ressource projetée suivie d’un court texte explicatif, avec dates et notions importantes à retenir, que le reste de la classe va prendre en notes. L’enseignant a pu guider les élèves mais ce sont eux qui ont cherché, réfléchi et créé ensemble. On peut aussi leur demander de préparer les questions de l’évaluation et même de corriger leurs pairs !
À noter : on peut renverser une classe de primaire ! Amener deux ou trois élèves au bureau, pour une lecture d’une histoire par exemple, suivie de questionnements venant des enfants. C’est enthousiasmant pour eux et pour l’enseignant !
On ne gagne pas à tous les coups, mais les résultats sont étonnants
On voit ainsi des enfants en difficulté souhaitant ajouter de la complexité aux exercices, ou même ajouter des petits pièges dans les évaluations… L’élève doué en recherche travaillera avec celui qui s’exprime bien à l’oral… les compétences se complètent, les élèves apprennent les uns des autres et à travailler en groupe. À noter, comme le signale Jean-Charles Cailliez[3], ceux qui ont le plus de difficultés à s’approprier la méthode sont souvent… les habituels premiers de la classe et, a contrario, les moins « scolaires » deviennent parfois brillants !
Les bémols sont là encore présents, bien sûr. Il faut d’abord oser bousculer ses habitudes et ce n’est pas facile. Comme dans la classe inversée, c’est la fin du « silence, on écoute le prof ! », remplacé par le « bruit pédagogique »! Faire visionner plusieurs séances vidéo et laisser place aux échanges entre élèves produit nécessairement un niveau sonore important et épuisant, mais c’est pourtant indispensable. Et, comme pour la classe inversée, il faut prévoir un gros temps de préparation pour l’enseignant. Enfin, la classe renversée ne peut pas s’adapter non plus à tous les publics et à tous les sujets.
Adorée par les élèves, c’est clairement une méthode innovante particulièrement intéressante dans les matières scientifiques et de sciences humaines. Elle rencontre un grand succès, en particulier dans les lycées professionnels et centres de formation d’apprentis, où les méthodes traditionnelles ont besoin d’être bousculées pour remotiver les élèves…
Que ce soit en méthode classique, inversée ou renversée, il va de soi que l’enseignant reste le garant des apprentissages au travers du dispositif qu’il va construire. En effet, les cours à distance 100 % numériques, c’est-à-dire sans professeur présent, avec seulement des vidéos et des QCM, c’est difficile pour les élèves. Pouvoir poser des questions, aller plus loin avec son enseignant et des camarades de classe… autant d’interactivités humaines essentielles que le numérique ne comble pas. Alors ? Ces innovations ne sont pas des recettes magiques qui permettraient de régler tous les problèmes d’apprentissages, mais utilisées en complément des méthodes traditionnelles, elles permettent de pratiquer une pédagogie qui ne soit pas que descendante et qui permette aux élèves d’être acteurs de leurs apprentissages. Prêts pour partir à la renverse ?
[1] Patrick Rayou, professeur émérite en sciences de l’éducation, Paris VIII, dans Les Cahiers pédagogiques, mai 2017. [2] Carine Perrin et Laurence Avy, enseignantes au lycée professionnel La Mache à Lyon. [3] « La classe renversée… une pédagogie en do it yourself, conférence de Jean-Charles Cailliez (illustrée par les dessins de Charles Henin), le 22 avril 2015 à Lille, organisée par le Crédit du Nord à l’occasion de l’événement Innov’Action, https://www.youtube.com/watch?v=ni7DeV3iOQk